Главная arrow Пресса arrow Статья об Алексее Круглове на «Impro Jazz» (M.Sarrazy, France)
Статья об Алексее Круглове на «Impro Jazz» (M.Sarrazy, France)
 
  • «Impro Jazz», № 177, juillet - août, 2011
Marc Sarrazy
 
• Krugly Band
 
Fils du pianiste Vladimir Kruglov, Alexey Kruglov est né en 1979 dans la région de Moscou, à Pavlovsky Posad. Il étudie en premier lieu le piano, avant de se destiner au saxophone alto à l’âge de treize ans. En 1993, il est accepté au « Class Center » dirigé par Sergey Kazarnovsky, conservatoire renommé pour sa faculté à dénicher de jeunes talents. Par ce biais, il intègre l’orchestre de Yury Chugunov qui lui enseigne les fondamentaux en jazz, mais également celui d’Ernest Barashvili (ancien soliste du big band de Leonid Utesov) et surtout la section d’improvisation conduite par Arkady Shilkloper. Kruglov poursuit ses études au département « Jazz et musique populaire » du Gnessins Music College de Moscou sous l’égide de Sergey Rezantsev, puis d’Alexander Oseichuk. C’est à cette époque qu’il reçoit son premier prix lors d’un concours académique organisé à Togliatti, suivi de près par un second obtenu à la Crystal Note International Competition du Kremlin, épreuve pour laquelle il est soliste de l’orchestre d’Oleg Lundstrem pour interpréter la « Sad Ballad » de Yuri Saulsky ; dès lors, ce dernier prendra Kruglov sous son aile et le poussera à la composition. Il en résultera la pièce « Song S494+1 », qui sera couronnée lors d’un mini-festival au Blue Bird Jazz Club.
Alexey Kruglov commence à tourner à travers toute l’ex-URSS (festival Jazz at the Hermitage de Moscou, Klaipeda, Saratov, Iaroslav, Kazan, Saint-Pétersbourg…) à la tête de son Krugly Band 1, formation à personnel variable qui oscille entre post-bop musclé et free jazz : le saxophoniste revendique les influences de Vladimir Rezitsky, Vladimir Chekasin, Vladimir Tarasov, Oleg Yudanov, John Coltrane, Ornette Coleman, Eric Dolphy, Anthony Braxton et Zbigniew Namyslowsky… Il s’entoure au sein de son Krugly Band de jazzmen aux horizons divers : les puristes Valery Ponomarev et Yury Markin, les avant-gardistes Vladimir Chekasin, Mike Ellis et même Gary Bartz ou le bassiste électrique Alex Rostotky : tous jalonnent épisodiquement la route du Krugly Band. En 2000, il participe par deux fois aux performances expérimentales « Fontana (Re) Mix » de John Cage données à l’Alternativa Festival.
Un an plus tard, Alexey Kruglov enregistre son premier disque : Transfiguration, avec Sergey Khutas (b), Pyotr Talalay (dm) et selon les plages les pianistes Alex Bekker ou Vladimir Nesterenko. Bien qu’adepte du saxophone alto, l’emprise de Coltrane se fait ici pleinement ressentir. Car si les titres « Missis » et « Waltz for You » s’avèrent de facture plutôt hard-bop, les deux longues suites qui les encadrent s’inscrivent totalement dans un spiritual jazz post-coltranien. Une essence free jazz infuse « Transfiguration » bien que les musiciens ne s’autorisent que peu d’escapades foncièrement libertaires, et les boucles obsessionnelles de saxophone, le foisonnement de la batterie, l’évanescence rythmique du piano hanté de gammes pentatoniques : toute la démesure coltranienne se rejoue ici. Plus encore, la suite « Dream » qui se développe sur quarante-deux minutes après une longue introduction presque modale, une brève citation de « A Love Supreme » et un crescendo éléphantesque et sublime, constitue un véritable hymne au déluge musical impulsé par le maître : nous sommes bien en l’an 34 après JC…

• Théâtralité de la musique

Pourtant, Alexey Kruglov ne cherchera pas longtemps à n’être qu’un fils spirituel exotique de John Coltrane, aussi brillant soit-il. De plus larges ambitions l’animent du point de vue de la création : « En 1999, j’ai commencé à travailler avec le poète Andrey Voznezensky ; son influence a été capitale pour moi et sur ma façon de créer : il m’a montré une manière de penser fondamentalement libre sur les arts. J’aime les sentiers de la musique improvisée et de l’avant-garde. Je ne cherche pas à me cantonner à un genre unique, je participe à des projets contemporains avec des poètes, des peintres, des orchestres symphoniques et des chœurs. Avec le Krugly Band, je joue de la musique instrumentale mais sur scène, je n’hésite pas à y intégrer des poètes russes. Dans mes compositions, je cherche à élaborer de nouvelles perspectives artistiques en utilisant des parallélismes, des images, des références, des allégories, des métaphores sur l’âme musicale russe et des jeux sur l’atonalité. Je cherche des configurations rythmiques qui cadrent aux différents projets. J’aspire à trouver une unité entre le monde et le son. Une sorte de poésie sonore libre transcendant la musique instrumentale… Outre le jazz, des compositeurs comme Moussorgski, Rachmaninov, Schnitke et Penderecki ou l’écrivain Dostoïevski m’ont fortement marqué. » 2
   
La théâtralité des shows de Vladimir Chekasin et de ceux des Pop-Mechanics de Sergey Kuryokhin, mais aussi les « compositions stratégiques » de John Zorn auront également un profond impact sur la vision créatrice d’Alexey Kruglov. Ce choix de la pluralité artistique s’exprime par de nouvelles collaborations avec le producteur de cinéma Andrey Voznesensky, divers travaux pour le théâtre, des illustrations sonores de films muets et se matérialise dès son deuxième disque (y compris dans les titres de morceaux), I Love, inspiré par le poème éponyme de Vladimir Mayakovsky. Autour de trois compositions jouées en quartet dans un style hard-bop avec Evgeny Borets (p), Sergey Khutas (b) et Pyotr Talalay (dm), se dressent des pièces plus hétéroclites. « I love. Usually it’s so. » démarre dans la même veine avant d’être soudain gangrené par un opéra miniature et étrange animé par les chanteuses lyriques Anna Zavalina et Khristina Kuznetsova, la violoniste Polina Feigina et les déclamations poétiques d’Artyom Makovsky. Sur « When I was a boy. I Love. When I was a youth. My studies. », « Grown-up. What happened. I love. Calling. You. » et « It’s impossible. And so with me. Conclusion 2. I love. », Kruglov instaure un cadre free jazz en trio avec le batteur Evgeny Anoev et le poète Artyom Makovsky ; libéré de toute entrave, ce dernier assène ses mots avec une verve solennelle parmi les boursouflures rougeoyantes d’un saxophone aux sonorités emplies de douces fêlures (allant jusqu’à la saturation) et le fracas des percussions. Mais ici les choses ne restent jamais véritablement cloisonnées, les mots nourrissent la musique (qui du free peut dériver vers un interlude plus classique) et vice-versa. Ce principe récurrent dans l’avant-garde russe consistant à scander des poèmes sur fond de free jazz se retrouvera régulièrement dans les travaux de Kruglov.
A l’instar de John Coltrane en son temps, Kruglov développe une esthétique musicale irriguée de spiritualité en ce sens que, par sa soif inassouvie de liberté et ses larges ouvertures à d’autres domaines artistiques, elle témoigne de l’inlassable quête d’une nouvelle dimension.

• Music of Anxiety

Alexey Kruglov est invité en septembre 2004 à participer à un stage à la Pacific's Brubek Institue, en Californie. Il en profite pour jouer au festival de Monterey avec le contrebassiste Christian McBride, puis à Stockton avec le saxophoniste Jimmy Heath. A son retour en Russie, il compose « Kvadratura Kruga », animé par la poésie de Sergey Esenin.
Pour son disque Music of Anxiety, Alexey Kruglov réunit trois quartets avec trois pianistes, trois contrebassistes et deux batteurs différents, le temps de délivrer trois suites. La première offre une nouvelle version de « Waltz for You », deux fois plus longue que celle présente sur Transfiguration et dans laquelle Kruglov a tout loisir d'exprimer sa verve créatrice. Plus proche de la ballade, comme en suspension temporelle, « Love » est éclairée par le jeu en rhizome du piano de Nikolay Sizov.  Sur l'intense « Music of Anxiety » qui s'étire sur un quart d'heure, la saturation quasiment constante du son de saxophone rappelle presque celle de Gato Barbieri. L'œuvre, hyper-expressive, brille par son relief pétri de flottaisons et de chaos.
Peu à peu, Kruglov s'ouvre au poly-instrumentisme et joue à présent de tous les saxophones, de la clarinette, du cor de basset et de temps à autre du piano préparé. Il n'est pas rare de l'entendre souffler dans plusieurs saxophones simultanément à la manière de Rahsaan Roland Kirk.
Durant ses passages à Iaroslav, Alexey Kruglov forme un quartet avec le joueur de bugle sibérien Igor Shirokov, le contrebassiste Dmitry Denisov et le batteur Oleg Yudanov, ancien membre du Jazz Group Arkhangelsk. Le disque April in Yaroslavl présente des morceaux tirés de trois sessions datées de 2007 et 2008. Les compositions avoisinent généralement les dix minutes et hormis pour le virulent « Two Brothers », louvoient sur des tempos semi-lents. L'une des forces d'impact de la musique du quartet tient dans l'antagonisme qui réside entre les sons chatoyants du bugle de Shirokov –  chapelets effilochés de timbres feutrés qui s'apparentent au jeu de Nils Petter Molvaer – et les souffles incandescents d'un saxophone à fleur de peau, comme sans cesse en bord de rupture. Il en résulte un expressionnisme vibrant, bouleversant, qui éclabousse particulièrement « Night in Siberia », « Siberian Waltz » et « Dream » enregistrées toutes trois le 3 avril 2008. Sur « Autumn », Kruglov qui emmanche un cor de basset est rejoint par sa femme, la flûtiste Eugenia Kruglova. April in Yaroslavl est un disque exalté autant que déchirant. Dès lors, Oleg Yudanov et Alexey Kruglov deviennent partenaires privilégiés
A partir de 2008, Kruglov participe au nouveau Kadans d'Hermann Lukianov, auquel il injecte des improvisations tranchantes qui bousculent l'édifice post-bop établi. En septembre 2009, le pianiste Igor Volodin le sollicite pour intégrer son groupe avec Nikolai Klishin (b) et Oleg Yudanov (dm) et graver le disque Illusions. Sur la splendide composition inaugurale « Memory », la formation distille un jazz crépusculaire hanté par un passé à jamais évanoui. Le rôle de Yudanov est en tous points fondamental, tant dans l'invitation rythmique que dans l'occupation spatiale du son. Sous les doigts de Volodin s'inventent des formes précieuses et belles, que tente de balayer le saxophone de Kruglov, toujours éblouissant. Les trois morceaux suivants louvoient entre hard-bop et free jazz néo-romantique.  Anna Anfimova est invitée à chanter sur le vaporeux « Ocean » et sur « Mom Song », pièce à nouveau irisée par l'époustouflante improvisation de saxophone. « Vanity » s'inscrit dans un registre plus abruptement tourné vers le free jazz.

• Russian Metaphor

Les deux disques suivants réalisés en leader paraîtront chez Leo Records et forment une sorte de diptyque. En effet, Russian Metaphor est entièrement enregistré en studio en novembre 2007, Seal of Time propose deux autres morceaux de la même session, le reste étant capturé en concert en septembre 2009. Le noyau des musiciens est formé par Alexey Kruglov, Igor Ivanushkin (b) et Oleg Yudanov (dm, perc), augmenté de Dmitry Bratukhin (p) et d'Erzhena Hide (voc sur le titre « Seal of Time ») sur le second disque. Le premier se conclut sur « Ascension », le deuxième sur « The Ascent ». Mais plus que tout, ils sont unis par leur esthétique musicale commune, prolongeant magnifiquement la tradition américaine du free jazz : structure éclatée, avènement paroxystique du cri (tant aux instruments à vents que par les gerbes pianistiques dans les climax, ou par les quelques interventions vocales de la chanteuse), détournement de marche à la Albert Ayler (« Ascension », « The Battle »), poly-instrumentisme de rigueur (avec Kruglov au soprano, à l'alto, au ténor, au baryton, au cor de basset, à la flûte et ponctuellement au basson, au hautbois, au piano et à la trompette de poche...), usage de piano préparé... Kruglov utilise d'ailleurs plusieurs saxophones simultanément sur la pièce « Seal of Time ». Sur « Extracts », Kruglov munit son ténor d'une embouchure de trombone, ce qui lui donne un timbre de valve dégonflé qu'amplifient les vastes glissements de l'archet sur la contrebasse. « C’est d’abord à Ayler que l’on pense, tant la musique de Kruglov semble chasser l’esprit du grand Albert et vouloir comme ce dernier dire en un même souffle la beauté et la violence du monde. Puisant dans un passé un peu plus proche, on peut évoquer sans peur de trahir Kruglov la personnalité de David S.Ware, pour le lyrisme et l’exaspération qui se mêlent dans le discours du jeune musicien russe. » 3 La suite « Russian Metaphor » tente de recréer les paysages sonores de la Russie du Nord : Kruglov y dépose des plaintes de hautbois, Yudanov y sème des entrelacs rythmiques végétaux et boisés, tout se joue dans une torpeur pâle et magnifique. A son image le disque dans son ensemble, centré autour de la longue suite « Striving of Generations » où les sons se perdent dans le labyrinthe des chambres d'écho, se tisse dans une relative quiétude, tout en atmosphères déliquescentes, tandis que Seal of Time est construit aux dires de son auteur comme une « symphonie à l'envers ». Un dernier mot sur « The Poet », l'éblouissante pièce qui ouvre le disque : elle est probablement l'une des plus puissantes de toute l'œuvre de Kruglov d'un point de vue émotionnel.  Ce dyptique est une merveille.

• Dialogos in Tempo

Après avoir joué avec Vladimir Chekasin puis occasionnellement avec Vyacheslav Ganelin, Alexey Kruglov enregistre en février 2010 un diptyque avec le percussionniste Vladimir Tarasov, troisième membre de l'illustre GTC. La rencontre s'inscrit dans la lignée des grands duos saxophone / batterie de l'histoire du free jazz : on songe évidemment à John Coltrane / Rashied Ali, mais aussi à Anthony Braxton / Andrew Cyrille, Dewey Redman / Ed Blackwell ou Joe McPhee / Hamid Drake... Elle est placée sous le signe de l'espace et de l'instant, du silence et du son, sous le signe du dialogue ; et de l'écoute. L'un érige tout un panel de percussions, bruissantes, boisées, métalliques, percutantes... L'autre emmanche tour à tour ou en même temps soprano, alto, ténor, clarinette, cor de basset et mélodica. Si Dialogos favorise explorations soniques et mises en abîme, si In Tempo se structure davantage autour de l'idée de rythme, les deux disques sont unis par un même refus de la concession et de la facilité. Ardus, spontanés, ils n'en restent pas moins vibrants.
Ce duo entre Tarasov et Kruglov se pare finalement d'une aura quelque peu mythique : comme le passage de témoin entre l'un des inventeurs du free jazz soviétique et l'un des porte-paroles les plus doués de la nouvelle génération...

Alexey Kruglov incarne ainsi cette relève d'un free jazz russe dans toute sa splendeur, frappé de décharges émotionnelles et d'un lyrisme fou. Multi-instrumentiste exalté, saxophoniste au son plein, le souffle volontiers impulsif et rauque ou vibratile et palpitant comme un cœur qui bat, Kruglov se lance dans l'art à corps perdu, chargé d'une hyper-expressivité à l'impact foudroyant, entièrement dédiée à l'émotion la plus brute, la plus directe.

Notes :
1.    En russe, Kruglov dérive du mot krugly qui signifie « autour de ».
2.    Alexey Kruglov, correspondance personnelle du 15/09/10.
3.    Pierre Lemarchand à propos de Seal of Time, dans Le son du grisli, http://grisli.canalblog.com, 2010.
 
 
 
 
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